C. « Néo-anarchisme » ou marxisme libertaire ? (1950-1956)

La querelle de la Plate-forme rencontre un écho inattendu au début des années cinquante dans la tentative de synthèse entre un courant communiste libertaire plate-formiste et un marxisme annonciateur des gauchismes de Mai 68. Au point de vue idéologique cette alliance contre nature trouvera, dans les années soixante, de nombreux défenseurs comme Maximilien Rubel ou Daniel Guérin. Mais ce projet s’inscrivait, au moins, au départ dans une stricte observance des préceptes anarchistes :

Nous sommes de ceux qui n’auront jamais assez de sarcasmes contre le purisme à bon compte, nous sommes de ceux qui, par contre, ne peuvent entendre la « révision » que comme un approfondissement, une élaboration continue de l’anarchisme. [1]

En tout cas, la constitution d’une tendance marxiste libertaire au sein de la F.A. a provoqué une crise sans précédent dans l’histoire du mouvement anarchiste français. Depuis 1950, les tenants d’une « ligne dure » se sont regroupés en secret autour de Georges Fontenis. Rassemblés dans l’Organisation Pensée Bataille (O.P.B.) qui impose une discipline stricte à ses membres, ils réussissent à prendre la direction de la F.A. et provoquent en peu de temps la démission ou l’exclusion de nombreux militants. Une fois débarrassés de leurs principaux opposants, plus rien ne s’oppose à la naissance de la Fédération communiste libertaire. La nouvelle organisation, qui n’a plus grand chose d’anarchiste, présente des candidats aux élections législatives de 1956, ce qui constitue une sérieuse entorse aux principes libertaires ! Elle prend de nombreux contacts avec des groupuscules d’extrême gauche inaugurant une série de rassemblements suivis de scissions qui vont désormais caractériser le courant communiste libertaire.

Le Libertaire, passé sous le contrôle de l’O.P.B. et resté aux mains des animateurs de la F.C.L., a changé considérablement. Les exposés de la doctrine se multiplient au détriment de la part réservée aux informations. Le comité de rédaction insère dans la rubrique « Classiques de l’anarchisme » de nombreux textes de théoriciens défendant un type d’organisation plus structurée. Il montre la convergence de points de vues entre certains marxistes et anarchistes [2]. Enfin, sous le titre « Problèmes essentiels », Georges Fontenis publie, pendant plus d’un an, une série d’articles allant dans le même sens et précisant ses conceptions sur de nombreux points. [3] Ces réflexions serviront à la rédaction du Manifeste du communisme libertaire. Privé d’une partie importante de ses lecteurs qui n’acceptent pas le changement d’orientation, l’organe de la F.C.L. finira par perdre son statut officieux d’organe central du mouvement anarchiste au profit de son successeur Le Monde libertaire. Il s’opposera au titre publié par la nouvelle F.A. sur le soutien à accorder aux nationalistes algériens. Mais ses violentes prises de position provoqueront surtout le retour de la censure, l’arrestation de plusieurs rédacteurs, la saisie de nombreux numéros et enfin l’arrêt définitif de la publication.

[1Fontaine [Georges Fontenis], « Au seuil d’un demi siècle », Le Libertaire, n°253, 26 janvier 1951.

[2Ce qui dans le contexte de la guerre de positions que se livrent marxistes et anarchistes depuis la Première Internationale passe évidemment pour une hérésie.

[3Georges Fontenis, « Communisme ou individualisme », Le Libertaire, n°285, 19 octobre 1951. « Les bases sociales de l’anarchisme », Le Libertaire, n°287, 2 novembre 1951. « Liberté et discipline », « Anarchisme et morale », Le Libertaire, n°288, 9 novembre 1951. « Anarchisme et morale », Le Libertaire, n°292, 7 décembre 1951. « Contrat et organisation », Le Libertaire, n°297, 11 janvier 1952. « La défense de la révolution et l’Etat », Le Libertaire, n°321, 26 juin 1952. « L’Anarchisme, doctrine sociale », Le Libertaire, n°333, 6 novembre 1952. « Le problème du programme », Le Libertaire, n°335, 20 novembre 1952. « Les rapports entre les masses et l’organisation révolutionnaire », Le Libertaire, n°336, 27 novembre 1952. « Les caractères de l’organisation », Le Libertaire, n°337, 4 décembre 1952. « Les caractères du communisme libertaire », Le Libertaire, n°339, 18 décembre 1952. « Notre conception de la révolution », Le Libertaire, n°340, 25 décembre 1952 et n°341, 1er janvier 1953