Le Libertaire (1917-1956) > Catalogue des articles > 11 octobre 1946

La mort s’en va-t-en guerre contre les gendarmes

Article paru dans Le Libertaire du 11 octobre 1946, reproduit in Georges Brassens, Œuvres complètes. Chansons, poèmes, romans, préfaces, écrits libertaires, correspondance, Paris, Le Cherche Midi, 2007, pp. 1055-1057.

Il ne suffisait plus aux policiers d’embêter les plus paisibles êtres humains, de les arrêter, les fouiller, les insulter, les passer à tabac. Voilà maintenant qu’ils s’amusent à les voler et les violer. Témoins ces trois agents de police de Vannes qui sont en train de supporter la sévérité d’un jury devant lequel ils ont envoyé tant de leurs victimes.

Dame la Mort s’est proposé un but.

Faire rentrer dans le néant — d’où ils n’eussent pas dû sortir — tous les gendarmes de la terre.

Noble but, sublime idéal.

La mort va sur la bonne voie ; nous la louons et l’approuvons et si, pour le moment, il nous est impossible de lui prêter notre concours, nous sommes néanmoins tous de cœur avec elle et applaudissons vivement à chacune de ses victoires.

C’est au reste notre droit strict.

Qui donc pourrait nous reprocher d’apprendre avec plaisir le trépas d’un gendarme.

Notez bien qu’en réalité ce n’est pas son trépas par lui-même qui nous met l’allégresse au cœur mais les conséquences qu’il entraîne parmi lesquelles celle d’amoindrir sensiblement les effets néfastes de l’autorité s’avère comme une des plus heureuses, des plus agréables.

Malheureusement, comme l’a énoncé le philosophe Épictète : « Rien d’excellent ne se fait tout à coup : pas même un grain de raisin ou une figue ».

De plus, la vie a la peau dure et sur la route de la mort elle sème bien des obstacles, bien des pierres d’achoppement.

Mais la mort est persévérante.

Les échecs ne la rebuteront pas.

Consciente de la grandeur de son entreprise elle la continuera avec une fidélité inébranlable.

Les belles choses sont le fait d’un effort poursuivi sans cesse.

L’un après l’autre tous les pandores seront impitoyablement fauchés.

Un jour viendra, qu’on se le persuade, où le soleil se lèvera sur un monde nouveau dépourvu de gendarmes.

Et si notre humeur quelquefois s’impatiente devant la lenteur avec laquelle est menée cette œuvre salvatrice, pacifions-la de notre mieux.

En lui disant après Franklin que l’eau qui tombe goutte à goutte finit par creuser la pierre, qu’avec de petits coups de hache on abat les plus grands arbres, etc. etc.

En lui détaillant la manière dont la Parque triomphe de ses ennemis.

Ces temps-ci nous avons de quoi la satisfaire.

Il y a trois semaines, surpris par le sifflet d’un gendarme qui nourrissait l’espoir de lui dresser une contravention, un cycliste perdait le contrôle de sa machine et s’apprêtait à se casser la tête quand, soudain, son subconscient l’obligea à se rendre compte qu’au lieu de s’écraser bêtement sur le sol il valait mieux se laisser choir sur la cause de l’accident.

Or, la cause de l’accident, c’était simplement le gendarme.

Accordant confiance à son subconscient le cycliste suivit son conseil et se releva presque indemne.

Il n’en alla pas de même du matelas improvisé.

Quand on se pencha sur lui on dut se rendre à l’évidence : la faucheuse était passée par là.

Il y a deux semaines, vexé d’être traité comme une vulgaire résistance de T.S.F. un détonateur détona ab abrupto et divisa l’auteur de cette indélicatesse en plusieurs parties inégales.

Du beau travail à la vérité.

Il y a une semaine, deux représentants de l’autorité publique emmenaient un repris de justice à la prison de Montpellier.

Or, celui-ci qui ne voyait pas la nécessité de connaître les aîtres de la susdite prison, profita d’une seconde d’inattention de ses gardiens pour leur brûler la politesse.

Comme un bolide il s’en alla.

Les pandores naturellement s’élancèrent à sa poursuite mais alourdis par un séjour trop prolongé dans les casernes et une quantité considérable de bêtise ils ne tardèrent pas à perdre du terrain.

Alors, n’écoutant que son devoir, l’un des deux gendarmes sortit son revolver et fit feu à quatre reprises dans la direction du fuyard.

Il faisait nuit, très nuit, tellement nuit que les balles se trompèrent de route.

Au lieu de s’arrêter dans la carcasse du « bandit » elles échouèrent dans celle du brigadier...

Au détriment de celui-ci, lequel s’écroula lourdement.

Il va sans dire que le prisonnier ne perdit pas on temps à déplorer cette méprise et que redoublant de vitesse il prit la poudre d’escampette, plus intéressante à son gré que la poudre à canon...

Et voilà : trois semaines, trois morts.

Évidemment, l’on pourra rétorquer qu’à ce train-là les ignobles pandores ne sont pas près de disparaître. Bien sûr, bien sûr, mais n’est-il pas permis de supposer que la mort — qui recèle plus d’un tour dans son sac — va bientôt se servir d’une faux perfectionnée.

Une faux mécanique, électrique, atomique.

Tout est possible, palsambleu.

Faisons confiance à la mort, elle ne nous décevra pas.


Géo Cédille